vendredi 21 décembre 2007

best of 2007 / les livres, films, disques et expos qui m'ont fait passer l'année




Bon. Avant de me ruer sur les "beaux" livres de Noël -dont le superbe Dit du Genji, soit trente kilos au bas mot de littérature japonaise médiévale- donc je disais: avant de me ruer sur les plus ou moins beaux livres, et avant de me ruer sur les romans de janvier 2008, et aussi avant d'essayer de deviner ce qui m'attend l'été prochain, et puis même avant de spéculer sur les prix littéraires de l'année prochaine -Gallimard, Gallimard pas?-, bref avant d'attaquer 2008 j'ai envie de me retourner sur ce que j'ai lu, vu, et entendu cette année de bien, de beau et de bon.


Oui, 2007 fut infiniment....


-ROCK'N'ROLL EIGHTIES





Yeah baby ! En plein hiver morose, j'ai redécouvert Blondie, sa blondeur diaphane et sa voix pointue grâce à Maylis de Kérangal et son très puissant Dans les rapides, qui raconte l'histoire de trois copines qui s'ennuient au Havre sous la pluie et qui rêvent de conquérir New York. Blondie m'a boostée à un tel point que cet été j'ai poussé le vice jusqu'à acquérir le sac en toile à son effigie réalisé par Marc Jacobs pour une quelconque assoce caritative. 10 euros seulement.



(ça c'est le livre)






(ça c'est le sac)




Et puis vers la fin de l'année, il y a eu les grèves et il y a eu le froid, mais il y a surtout eu le terrific Bob Dylan, avec la sortie de Dylan par Dylan chez Bartillat et du beau film de Todd Haynes. Je n'ajouterai rien de plus tant j'en ai fait déjà des tonnes ici.



-PHILOSOPHIQUE



On ne s'y attendait pas, mais finalement, la philo est en vogue. Oh, pas n'importe laquelle. On préfère aux essais les revues, et Philosophie Magazine se vend plutôt bien, même en en parlant tout le temps. Enfin non, pas tout le temps. Car si "Philomag" se fait remarquer par le grand public en avril, c'est pour un acte éminement non-philosophique : la publication d'un dialogue de Nicolas Sarkozy avec Michel Onfray où le futur président dit ceci. "J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie." Diantre!

Sinon, le Manuel de survie dans les dîners en ville a joué la carte de la vulgarisation philosophique avec un certain succès. Certes, ici, elle frise parfois la vulgarité, postulant avec humour que les intellos sont chiants, snobs, et teriblement intellos, mais tout cela est très second degré n'est-ce-pas, car nous en sommes après tout; mais il faut bien en rire.

-Et j'ai ri plus encore avec Vincent Delecroix, jeune auteur que j'avais découvert fin 2006 avec Ce qui est perdu, roman hilarant et presque ludique, qui parle de Kierkergaard et d'un gros chagrin d'amour. Résultat: à la rentrée de septembre, je me suis ruée sur La chaussure sur le toit, un roman choral au pitch très simple : une chaussure sur le toit d'un immeuble du 10ème arrondissement de Paris, qui engendre autant d'histoires que de personnages loufoques. Je n'en dis pas plus parce que franchement, vous l'aurez englouti le temps d'un Paris-Brest.






-IRANIENNE


L'Iran, ce n'est pas seulement Ahmadinejad évoquant l'absence totale d'homosexuels dans son pays lors d'une désastreuse conférence à Columbia. C'est aussi ce livre, qui a retenu mon attention malgré son titre idiot : Les Pintades à Téhéran. Ecrit par Delphine Minoui, journaliste franco-iranienne qui bosse notamment pour Le Figaro, il raconte la vie quotidienne des Téhéranaises, genre l'épilation sous le tchador et bien d'autres turpitudes. Une sorte de Sex and the City persan, en plus instructif et très plaisant. Et puis il y a Persepolis . Le film d'animation de Marjane Satrapi, tout en noir et blanc, est une réussite, tant par son graphisme que par sa bande-son que par son récit, bouleversant, d'une enfance à Téhéran.




- JAZZ JAZZ JAZZ


Je me souviens m'être enthousiasmée sur Pannonica, le roman de Pauline Guéna. Douce variation sur Monk et Pannonica de Koenigswarter, cette aristocratique muse des jazzmen de l'après-guerre, le roman de la jeune Pauline Guéna met en scène de façon admirable Pannonica et ses cats, perdus dans le New York des fifties et du bop. Tout cela m'a rappelé la belle exposition du festival de photo d'Arles que j'avais vue en août: des polaroids de jazzmen pris par leur amie, et des étranges feuilles dactylographiées. Car cette drôle de femme avait posé une étrange et belle question à tous ces grands musiciens pauvres, noirs et drogués. "Quels sont vos trois voeux?" Ils y ont répondu et c'est très joli.




(oui je sais on n'y voit rien. Mais ce sont les voeux d'Ornette Coleman.)


-En musique, ma découverte de l'année est sans doute le groupe de jazz suédois E.S.T. Comme Esbjörn Svensson Trio. Décrire leur musique est difficile, mais voilà : c'est en somme du piano planant, une sorte de jazz mâtiné de Pink Floyd-Radiohead. Envoûtant. Là, ils viennent de sortir un live à Hamburg et je viens de l'avoir pour Noël. "Esbjörn quoi?" m'a demandé ma mère quand je lui ai donné ma liste de cadeaux.


-ENFANTINE



C'est difficile de parler d'enfants dans un roman, difficile d'écrire pour eux, ou bien de tourner un film qui parle d'eux sans bêtifier, sans pontifier. Oui, c'est difficile de parler de l'enfance sans être, de fait, un adulte qui projette la sienne. J'ai relu hier une phrase de George Sand que j'aime bien: "C'est très mystérieux, les enfants. Ils pensent sans comprendre."


En 2007, j'ai trouvé et retrouvé des gens qui ont su appréhender intelligemment la question de l'enfance. Je pense à la collection Chouette!penser , chez Gallimard Jeunesse, qui aborde certaines questions philosophiques complexes (Dieu, le rapport à l'animal...), de manière admirable. Quand je dis enfant, je pense aux 12-15 ans... Quand même.

Et je songe aussi à la mort de Bergman cet été, et comment il a su mettre en scène l'enfance dans le magnifique Fanny et Alexandre . C'était il y a vingt-cinq ans. En 1982, l'année où je suis née.


J'ai été aussi très émue par certaines photographies d'Helen Levitt, que j'ai contemplées à la Fondation Henri Cartier-Bresson. D'autant plus que Madame Levitt, à 94 ans, vit toujours à New York, sa ville. New York qu'elle n'a cessé de photographier, des années 30 aux années 80. Et ses clichés d'enfants sont plus que touchants.









Enfin, j'ai lu avec intérêt un livre qui s'adresse à eux comme aux adultes. Oui, la physique, c'est fantastique, et le roman de l'astrophysicien Stephen Hawking, -dont on connaissait les ouvrages de vulgarisation pour adultes-, est fort divertissant. George et les secrets de l'univers raconte l'histoire d'un petit garçon que ses voisins initient tout doucement aux mystères de la physique. Et nous avec, bien entendu. Le bouquin, extrêmement pédagogique, chante la gloire des trous noirs et des comètes avec une telle passion et une telle gaieté que franchement, j'en ai un peu regretté d'avoir séché les cours de 4ème pour aller jouer au baby-foot au café d'en face en fumant mes premières JPS et en m'efforçant de ne pas croiser le proviseur.



-IL FAUT LE DIRE, 2007 FUT AUSSI SANS...


... Muriel Barbery et son hérisson .
Je résume : démago, trop facile, moyennement écrit, certes plaisant... et alors? Je ne voudrais pas être taxée de mauvaise foi mais je me défends comme je peux parce que je sens bien que dire cela c'est m'exposer à être traitée de snob littéraire qui n'aime pas les romans qui se vendent, quelle horreur! Mais je ne suis pas la seule à dire que ce hérisson-là est largement surestimé et je vous invite à lire un article, paru cet été, à ce sujet. Muriel Barbery n'aime guère être comparée à Anna Gavalda, mais les deux femmes ont au moins DEUX points communs: leurs livres sont des long sellers... bourrés de bons sentiments.




(y'a pas, c'est mignon comme animal)



... et sans François Bégaudeau.
C'est vrai que sa propension à disserter sur tout et n'importe quoi à la télé et dans les journaux, son statut d'écrivain officiel, et enfin son obsession d'écrire le réel m'agacent un peu. Comme si la littérature n'était que précision documentaire. D'où des romans aux thèmes faciles (les profs frustrés en ZEP, la libération de Florence Aubenas) farcis de prouesses stylistiques arty puisque je-publie-chez-Verticales-donc-je-suis-un-laboratoire-littéraire. J'en veux pour exemple l'incipit de son dernier roman, Fin de l'histoire : "Elle.Est.Arrivée.En.Avance."



(Liste non exhaustive)


- MAIS FINALEMENT, 2007 N'AURAIT RIEN ETE SANS...


Daniel Kehlmann / Zadie Smith / Philippe Forest / Patrick Modiano / Joni Mitchell / Martine Barrat / Jean Carriès / Philippe Trétiack / Diego Aranega / Jean Hatzfeld / Feist / Helen Levitt...

jeudi 13 décembre 2007

SHEBAM ! POW ! BLOP ! WIZZ !










A l'heure de la récré, tous les enfants font des échanges plus ou moins malencontreux. En 2007, ça donne à peu près ça. "Ouais, file moi ta carte de Yu-Gi-Oh et moi je te file mon poster de Zidane". Bon, finalement, rien n'a changé depuis ce roman, qui débute sous l'Angleterre de Thatcher. Et l'échange dont je vais vous parler concerne deux petits garçons, Harvey et Charles. Harvey, qui aurait mieux fait ce jour là d'aller potasser son algèbre, troque une vieille BD de Superman contre un vulgaire morceau de plastique. Le hic, c'est que vingt ans plus tard, la BD en question est devenue vintage, et elle vaut une petite fortune. Voilà pourquoi Harvey, qui, vingt ans plus tard, s'ennuie ferme dans sa librairie londonienne, brûle de la retrouver. Et pourtant, donner, c'est donner... Serait-il prêt à tout pour mettre la main sur la BD qui valait de l'or?
Ainsi débute ce réjouissant polar à l'humour grinçant, aussi drôle qu'un Nick Hornby et aussi haletant qu'un Agatha Christie, qui vous emmène des falaises des Cornouailles à la banlieue de Londres. Et vous n'avez nul besoin d'être un nostalgique des comics pour s'amuser des péripéties d'Harvey, parfait anti-héros au pays des superheroes. Wizz !


Swap
, d'Antony Moore. Liana Levi, 20 euros.


PS
A noter que l'éditrice Liana Levi a le bon goût de ne pas nous inonder de littérature chaque semestre; elle ne publie donc que très peu de romans par an. Swap est le seul roman de cette rentrée de janvier. Il est très bien.

lundi 10 décembre 2007

THE TIMES THEY ARE A CHANGIN'











D’ordinaire, je n’aime guère les biographies. Leur obsession de la véracité, leur foultitude de détails soit-disants pertinents, cette lave gluante de la vie qu’elles tranforment si facilement en vérité... je trouve tout cela assez suspect. Et puis derrière le business de la biographie, il y a le postulat que pour comprendre l’oeuvre, il faut comprendre l’homme. Il y aussi une certaine complaisance à explorer la médiocrité des vies des hommes pour ne pas avoir à parler des artistes. Ah, l'obsession du réel...

Mais I’m not there n’est pas une biographie. C’est un film. C’est peut-être là toute la différence avec les documentaires hagiographiques qui ne cessent de répéter que Dylan a du porter des années le lourd fardeau d’être Dylan, tout en en rajoutant une couche; et toute la différence avec les bouquins de cinq cent pages empesés par les dates et les “faits”.

Oui, I’m not there est un film et cela fait toute sa singularité.

Bob Dylan, donc. Fallait oser. Bob Dylan est un monstre. C’est un monstre sacré, et c’est un freak. Comme tous les monstres, il est protéiforme. Il fallait donc bien six personnages pour l’incarner: un jeune hobo génial, un acteur underground starisé, un chanteur contestataire, une femme en costard, un rocker rimbaldien échevelé, un ex drogué évangéliste. Chez Todd Haynes, tous ces personnages sont Bob Dylan.

Que les obsédés de la vérité se rassurent : les Dylaniens reconnaîtront dans le film bien des détails biographiques. Les veillées près de Woody Guthrie mourant à l’hôpital, les fugues à répétition, le Minesotta, la judéité, l’histoire d’amour avec Joan Baez, l’accident de moto de 1966...

Mais l’important n’est pas là.

L’important est que Tood Haynes a décidé que la vérité de Bob Dylan résidait dans son univers. Son art. Alors il a fait de ce film un mélange de détails de chansons, de poèmes. Certaines répliques du film sont en fait des paroles de chansons; Haynes met en scène des personnages imaginaires dans des scènes qui donnent l'illusion du réel.

Et c’est ainsi que suivant ce défilé carnavalesque, on saisit mieux Dylan à travers ses deux références poétiques: Rimbaud et Shakespeare.


Rimbaud ? Oui, Rimbaud rime avec hobo. Relisez donc ceci après avoir vu dans le film Dylan dans un train du Midwest, en guenilles.

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;
Mon paletot soudain devenait idéal;
J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal;
Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur!


Et puis il y a Shakespeare. Shakespeare crève l’écran. Acte V de Macbeth:


Life is but a walking shadow, a poor player / that struts and frets his hour upon the stage / and then is heard no more/ it is a foul tale, told by an idiot/ full of sound and fury, signifying nothing.

D'ailleurs, Dylan chante dans le film :


Well, Shakespeare, he's in the alley
With his pointed shoes and his bells,
Speaking to some French girl,
Who says she knows me well.





Sans le savoir, Dylan est Shakespeare, dans toute sa dimension carnavalesque, sa réflexion sur la vérité et les faux-semblants, dans toutes ses batailles verbales contre les obsédés de la vérité -notamment les journalistes. Dylan est Shakespeare dans son rapport au temps, The times they are a changing, dans sa conception de l’engagement politique (les chroniques de Holinshed inspirent Shakespeare qui en fait un Macbeth imaginaire mais terriblement politique. Et tout le monde comprend à l’époque à quel point Macbeth traite aussi de Jacques 1er... Comme Dylan inspire sans le vouloir les Black Panthers).

Bref, ce subtil mélange de réel et d’imaginaire, qui fait la vie et qui fait l’art, Shakespeare l’a fait, Dylan l’a fait. Todd Haynes l'a compris.

Etrange aussi de se souvenir que les acteurs de l’époque élisabethaine se travestissaient régulièrement. Quelques pièces de Shakespeare, -des comédies, notamment Comme il vous plaira-, traitent de cela. Et cela ne vous aura pas échappé que Cate Blanchett, dans le film, joue Dylan. Et l’on s’écrie, en 2007: “Dieu, une femme joue Bob Dylan!”. Pas si rare à l’époque du Théâtre du Globe. .

Amusant enfin de remarquer, obsédée que je suis par la prestation de Cate Blanchett, qu’elle est à l’afffiche ces jours-ci d’un film sur Elisabeth d’Angleterre... qui régnait au temps de Shakespeare.

Ce film me hante. Vous qui ne l’avez pas vu, vous qui ne connaissez pas bien Dylan, vous que le personnage agace ou fascine, ne cherchez pas à comprendre pourquoi il est joué par un jeune Noir, une femme, ou encore Richard Gere. Laissez cela aux obsédés du réel, cette nouvelle maladie du siècle.

Laissez vous plutôt prendre par I’m not there et ses obsessions poétiques, par ce jeu permanent entre fiction et réalité, vérité et mensonge, par cette gigantesque partie d’échecs entre Dylan et le reste du monde. Par ses réparties de poètes. Life imitates art... ou est ce l’inverse ?

There must be some kind of way out of here
Said the joker to the thief
There’s too much confusion
I can’t get no relief.

-No reason to get excited
The thief he kindly spoke
There are many here among us
Who feel that life is but a joke.






A lire : Dylan par Dylan, Bartillat. 30 euros, 560 pages.