mardi 13 mars 2007

ROCK N ROLL STORY




On la connaissait un peu, déjà, Maylis de Kérangal. Dans l’ordre, on connaissait:


1) Son dernier « roman », deux histoires chez Verticales : ni fleurs ni couronnes, dont j’ai parlé ici.
2) Son écriture hachée, sensuelle, forte, rugueuse.
3) Son amour de la matière, de l’élément, de l’eau, de la puissance, de la mort et du froid.

Tout cela donne, je vous le confie, des « novellas » magnifiques.

Et Dans les rapides est un beau livre.

Maylis de Kérangal s’attaque en effet au rock, et pas n’importe lequel : celui de la fin des années 70. Grande époque, en vérité. On voyait des performances dans des lieux de nulle part, avec plafond bas et lampes Pigeon vacillantes, les filles mettaient des bas à rayures pour ressembler à Debbie Harry et gravitaient autour du CBGB et de Saint Marks Place. Tout le monde commençait comme serveur et finissait rockeur.

Mais là ou moi j’aligne les clichés pour raconter une époque, Maylis de Kérangal, elle, fait vraiment revivre les années Bowie. Par une histoire toute bête, comme toutes les belles histoires. Ses trois héroïnes sont lycéennes, s’emmerdent au Havre, commencent à courir les garçons et ne rêvent que d’une chose : New York, New York. Le problème, c’est que fumer des cigarettes en jouant au flipper dans un PMU du Havre n’aide pas à traverser l’Atlantique. Qu’importe : Blondie passe en concert. Elles iront.

On le voit, le pitch est quelconque. Et alors ? Celui de Madame Bovary aussi.
Par contre, l’écriture de Maylis de Kérangal pulvérise tous les poncifs, tous les Anna Gavaldismes, tous les Camille de Perettismes, tous les Lolita Pillismes qui existent sur cette terre et c’est magnifique. Exemple.

«Après-midi mine de rien. Bar quelconque, brun chamois, huileux, sommeillant de cet ennui visqueux qui entrave les gestes, comptoir barbelé de fanions crasseux à la gloire du HAC doyen des clubs de France, quelques hommes isolés à l’abdomen en boule ploient devant leur verre le cou bientôt soumis à leur colonne en chute, une table de billard attend que le soir tombe».


Elle écrit bien, merveilleusement bien. J’attends d’elle pour la prochaine fois, puisqu’elle en a largement les moyens, un grand roman. Un de ceux qu’on n’oublie pas.
Car non seulement Dans les rapides est à l’image de la musique qu’il évoque –nerveux, tendu, sensuel-, mais il prouve également une chose qui me paraît importante.

La littérature « féminine » n’est pas cantonnée à la description de l’intime. Du tout psychologisant. Du « dialogue de femme ». Du récit polyphonique, à fleur de peau. De l’évocation d’une sensibilité que l’on croit féminine. Cette rentrée littéraire a en effet montré deux choses : le récit historico-épique écrit avec les pieds, mais par un homme, peut ramasser le Goncourt ; le récit historico-psychologico-familialiste, mais écrit par une femme peut ramasser le Fémina. Maylis de Kérangal prouve, avec quelques autres, -mais elles sont si peu nombreuses !- que les femmes ne font pas que du Alice Ferney. Merci à elles.


Maylis de Kérangal, Dans les rapides, Naïve, 12 euros. 120 pages.

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