dimanche 13 janvier 2008

La fin de l'amour






Qu'est ce qu'un couple? Que se passe-t-il lorsque le lien qui unit deux êtres se rompt? Eternelle, inusable question. Pas étonnant dès lors, qu'en cette rentrée elle fasse l'objet d'un roman. Encore un?


Rencontre, mariage, séparation : c'est par ces phases que passe l'union, avant de n'être plus. Mais comment arrive la mort d'un couple? Comment comprendre? "J'aimerais voir notre échec / en cerner les contours" chante doucement Natacha Régnier sur un bel album de Yann Tiersen. C'est cela qu'a tenté de faire Christine Jordis, songeant d'abord à Barthes, reconstituant patiemment des fragments de discours amoureux : l'attente, l'abandon, l'oubli. "Suis je amoureux? Oui, parce que j'attends", rapporte t-elle, citant l'auteur des Mythologies. Et tout à coup surgissent des images, des souvenirs: moi, fièvreuse, près du téléphone. Moi, nerveuse, dans un café. Moi, friande d'un mot, d'un compliment, d'une caresse.(Au lieu de raconter ma vie, j'en profite pour faire une petite digression: j'ai cru voir que les Fragments d'un discours amoureux étaient réédités, alors si vous ne les avez pas lus, n'attendez plus).

Bref, en femme lettrée, Christine Jordis convoque ses écrivains préférés: Virginia Woolf, George Eliot, Sylvia Plath. Car la romancière est avant tout, entre autres, spécialiste de littérature anglo-saxonne. Et ici, l'Angleterre victorienne et corsetée, -qu'elle connaît bien-, est remplacée par la France pudibonde des années 50, que tentent de fuir l'héroïne jordienne et Paul, son amoureux. Et puis, une fois les conventions balayées et le mariage consommé revient l'éternelle question : comment avoir une chambre à soi lorsqu'on vit à deux? Les réponses sont infinies.

Mais, entre nous, si le roman de Christine Jordis est un touchant hommage à ses écrivains de chevet, -comme on dit-, moi je vous conseille -tant qu'à faire-, de (re)lire vos classiques: Virginia Woolf ou D.H Lawrence. Quoi de mieux que cette belle phrase de l'auteur de Lady Chatterley, décrivant la délicate union du couple, ce lien si étroit... comme «pur équilibre entre deux êtres solitaires: comme les étoiles s'équilibrent l'une l'autre» ?


Christine Jordis, Un lien étroit, Le Seuil, 19 euros.

Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux, Seuil, 23 euros.
Et pour les amoureux de Barthes : Le discours amoureux : séminaire à l'Ecole pratique des hautes études 1974-1976 suivi de Fragments d'un discours amoureux . Seuil, 29 euros.

Photo de Larry Clark.


mardi 1 janvier 2008

Vagues terrains








Que se passe t-il là où il n'y a rien? Qu'est ce qu'on trouve dans les zones blanches des cartes Michelin? Des bidonvilles ? Des rats puants? Des écureils ? Des murs taggés qui sentent l'urine, "Juliette je t'aime" ou "Marie grosse pute?" Mais d'abord, qui va là, qui lit tout cela? Pour le comprendre, il faut savoir explorer ces non lieux, ces terrains vagues. C'est ce qu'a fait l'écrivain Philippe Vasset pendant un an, carnet à la main.

Alors, bien sûr, il aurait pu se contenter de décrire les SDF, les ragoûts d'écureils et les enfants des bidonvilles du Bourget et d'ailleurs... Ah ça! "Regardez, voilà comment des gens vivent dans votre ville, et vous, vous ne voyez rien; pire, vous vous organisez pour les cacher". Mais finalement,
-et c'est tant mieux-, il nous propose une promenade, ou plutôt une dérive. "J'ai vite compris que jamais je n'arriverais à dénoncer quoi que ce soit, préférant la confusion à la clarté, et retardant le plus possible le moment où il faudrait choisir mon camp et cesser d'être transparent, sans poids ni place".

Bref, j'ai été touchée par ce drôle de voyage, d'une petite centaine de pages, pas confus du tout, je me suis perdue dans ces cartes IGN aux contours certains et au contenu mystérieux... et je vous en recommande de faire autant. Et puis, cerise sur le gâteau, j'ai appris que George Perec a eu un projet similaire, qui forma un livre, la Tentative d'épuisement d'un lieu parisien. (fort beau titre au demeurant). Ni une ni deux, j'ai acheté le bouquin. Ma topomanie a eu raison de ma sagesse budgétaire, et je me suis retrouvée à dépenser en tout 24 euros. Diable! Pas raisonnable tout ça. Surtout quand on n'a pas encore payé sa TAXE D'HABITATION (299 euros. Avant le 17 décembre). Toujours est-il qu'à l'automne 1974, Perec s'est posté place Saint Sulpice, dans le VIème arrondissement de Paris, et a observé, heure par heure, les mouvements humains, les lettres des sacs plastique, les bus, et a même noté que, conformément au cliché, les vieilles dames au sortir de la messe, portent des cartons à gâteaux qu'elles tiennent par la ficelle. Ouf!


Finalement, c'est beau de penser la ville, cet espèce d'espace comme le disait Perec, comme cela. Comme un vagabondage, une fuite, une fugue... fut-elle immobile. Et puis, sans doute Philippe Vasset a-t-il raison, lorsqu'il conclut ainsi son petit Livre Blanc: "Malgré la couverture satellite permanente et le maillage des caméras de surveillance, nous ne connaissons rien du monde".


Philippe Vasset, Un livre blanc, Fayard, 14 euros.
George Perec, Tentative d'épuisement d'un lieu parisien, Christian Bourgois, 10 euros.






(ça c'est le Vasset)







(et puis ça c'est le Perec)


(photo d'Alberto Garcia Alix)