lundi 10 décembre 2007

THE TIMES THEY ARE A CHANGIN'











D’ordinaire, je n’aime guère les biographies. Leur obsession de la véracité, leur foultitude de détails soit-disants pertinents, cette lave gluante de la vie qu’elles tranforment si facilement en vérité... je trouve tout cela assez suspect. Et puis derrière le business de la biographie, il y a le postulat que pour comprendre l’oeuvre, il faut comprendre l’homme. Il y aussi une certaine complaisance à explorer la médiocrité des vies des hommes pour ne pas avoir à parler des artistes. Ah, l'obsession du réel...

Mais I’m not there n’est pas une biographie. C’est un film. C’est peut-être là toute la différence avec les documentaires hagiographiques qui ne cessent de répéter que Dylan a du porter des années le lourd fardeau d’être Dylan, tout en en rajoutant une couche; et toute la différence avec les bouquins de cinq cent pages empesés par les dates et les “faits”.

Oui, I’m not there est un film et cela fait toute sa singularité.

Bob Dylan, donc. Fallait oser. Bob Dylan est un monstre. C’est un monstre sacré, et c’est un freak. Comme tous les monstres, il est protéiforme. Il fallait donc bien six personnages pour l’incarner: un jeune hobo génial, un acteur underground starisé, un chanteur contestataire, une femme en costard, un rocker rimbaldien échevelé, un ex drogué évangéliste. Chez Todd Haynes, tous ces personnages sont Bob Dylan.

Que les obsédés de la vérité se rassurent : les Dylaniens reconnaîtront dans le film bien des détails biographiques. Les veillées près de Woody Guthrie mourant à l’hôpital, les fugues à répétition, le Minesotta, la judéité, l’histoire d’amour avec Joan Baez, l’accident de moto de 1966...

Mais l’important n’est pas là.

L’important est que Tood Haynes a décidé que la vérité de Bob Dylan résidait dans son univers. Son art. Alors il a fait de ce film un mélange de détails de chansons, de poèmes. Certaines répliques du film sont en fait des paroles de chansons; Haynes met en scène des personnages imaginaires dans des scènes qui donnent l'illusion du réel.

Et c’est ainsi que suivant ce défilé carnavalesque, on saisit mieux Dylan à travers ses deux références poétiques: Rimbaud et Shakespeare.


Rimbaud ? Oui, Rimbaud rime avec hobo. Relisez donc ceci après avoir vu dans le film Dylan dans un train du Midwest, en guenilles.

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;
Mon paletot soudain devenait idéal;
J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal;
Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur!


Et puis il y a Shakespeare. Shakespeare crève l’écran. Acte V de Macbeth:


Life is but a walking shadow, a poor player / that struts and frets his hour upon the stage / and then is heard no more/ it is a foul tale, told by an idiot/ full of sound and fury, signifying nothing.

D'ailleurs, Dylan chante dans le film :


Well, Shakespeare, he's in the alley
With his pointed shoes and his bells,
Speaking to some French girl,
Who says she knows me well.





Sans le savoir, Dylan est Shakespeare, dans toute sa dimension carnavalesque, sa réflexion sur la vérité et les faux-semblants, dans toutes ses batailles verbales contre les obsédés de la vérité -notamment les journalistes. Dylan est Shakespeare dans son rapport au temps, The times they are a changing, dans sa conception de l’engagement politique (les chroniques de Holinshed inspirent Shakespeare qui en fait un Macbeth imaginaire mais terriblement politique. Et tout le monde comprend à l’époque à quel point Macbeth traite aussi de Jacques 1er... Comme Dylan inspire sans le vouloir les Black Panthers).

Bref, ce subtil mélange de réel et d’imaginaire, qui fait la vie et qui fait l’art, Shakespeare l’a fait, Dylan l’a fait. Todd Haynes l'a compris.

Etrange aussi de se souvenir que les acteurs de l’époque élisabethaine se travestissaient régulièrement. Quelques pièces de Shakespeare, -des comédies, notamment Comme il vous plaira-, traitent de cela. Et cela ne vous aura pas échappé que Cate Blanchett, dans le film, joue Dylan. Et l’on s’écrie, en 2007: “Dieu, une femme joue Bob Dylan!”. Pas si rare à l’époque du Théâtre du Globe. .

Amusant enfin de remarquer, obsédée que je suis par la prestation de Cate Blanchett, qu’elle est à l’afffiche ces jours-ci d’un film sur Elisabeth d’Angleterre... qui régnait au temps de Shakespeare.

Ce film me hante. Vous qui ne l’avez pas vu, vous qui ne connaissez pas bien Dylan, vous que le personnage agace ou fascine, ne cherchez pas à comprendre pourquoi il est joué par un jeune Noir, une femme, ou encore Richard Gere. Laissez cela aux obsédés du réel, cette nouvelle maladie du siècle.

Laissez vous plutôt prendre par I’m not there et ses obsessions poétiques, par ce jeu permanent entre fiction et réalité, vérité et mensonge, par cette gigantesque partie d’échecs entre Dylan et le reste du monde. Par ses réparties de poètes. Life imitates art... ou est ce l’inverse ?

There must be some kind of way out of here
Said the joker to the thief
There’s too much confusion
I can’t get no relief.

-No reason to get excited
The thief he kindly spoke
There are many here among us
Who feel that life is but a joke.






A lire : Dylan par Dylan, Bartillat. 30 euros, 560 pages.

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