mardi 2 janvier 2007

L’Art de l’Adaptation : dialogue entre un candide et un sceptique




Le candide -Patrick Artero reprend Brel pour en faire du jazz… Pour qui aime les deux, c’est une grande joie. 
Le sceptique -Reprendre Brel ? La belle affaire ! J’en ai vu tant et tant, de ces musiciens qui parlent en son nom, dans le seul but de vendre toujours plus de disques. Cela n’a jamais été un gage de qualité de s’inspirer de Grand Jacques, loin s’en faut. Regarde Yuri Buenaventura… C’est très mauvais.
Le candide -Oui, mais Patrick Artero n’est pas exactement un inconnu, ni un mauvais musicien. C’est même un très bon joueur de trompette. Et puis, surtout, cet instrument est parfait pour rendre compte de l’art de Brel. Quoi de plus puissant que les trompettes qui annoncent que Mathilde est revenue ? Quoi de plus mélancolique que le cor qui murmure que le ciel est si gris qu’un canal s’est pendu ? Quoi de plus pathétique qu’une trompette qui souligne le retour chez lui d’un homme seul, seul… la bite sous le bras ?
Le sceptique-Tu t’emportes. Reprendre Brel ? Je te le dis : d’autres s’y sont cassés les dents. Brel, ce n’est pas du jazz élitiste et instrumental. C’est de la variété, dans le sens noble de ce terme. Brel n’est pas instrumentalisable. Brel se chante, se parle, se vocifère. S’écoute ! Non pas comme un solo, ni comme un morceau de bravoure de soliste. Brel, c’est une poésie de l’ordinaire. Dans ses chansons, ça pleure à gros bouillons. N’en faisons pas une musique d’intellectuel.
Le candide-Mais écoute donc ! Ecoute ce « Jaurès ». Te souviens-tu de cette chanson, qui parle si bien de la génération Jaurès ? Cette génération perdue, qui s’est tapie sous les tranchées ? Ecoute comme Artero joue Jaurès. Cela sonne comme une sonnerie aux morts. C’est doux, pur, élémentaire. La trompette seule peut faire cela, c’est là sa force. Ensuite, la guitare vient, doucement, nous raconter qu’ « on n’peut pas dire qu’ils furent esclaves… de là à dire qu’ils ont vécu ». On porterait presque le deuil. Cela vaut bien le Jaurès de Magyd Cherfi, non ?
Le sceptique-Oui, c’est beau.
Le candide-Et puis, vois cette chanson un peu oubliée, « A jeun ». On croit l’entendre parler, cet alcoolique qui éructe « Parrrrfaitement à jeeeuuunnn» quand on écoute cette trompette qui pousse, coquine, qui souffle fort et qui gémit…
Le sceptique-Oui, c’est vrai.
Le candide-Tu deviens raisonnable. Sans compter que Brel, c’est peut-être de la variétoche, mais il a su s’entourer, le bougre. « Chauffe Marcel, chauffe ! » disait-il à son accordéoniste, Marcel Azzola, qui soliloque grandiosement dans Vesoul.
Le sceptique-Oui, tu as raison.
Le candide-Ecoute, enfin, cet hommage d’Artero à La Mort, qui devient presque méconnaissable tant elle est tirée en tous sens. Jazz ou salsa, Artero a l’énergie du Brel qu’on voyait cracher sur scène. A ce niveau, conviens-en, ce n’est plus de la reprise… C’est de l’adaptation.

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