mardi 21 octobre 2008
«J'AI L'HONNEUR DE NE PAS VOUS DEMANDER CE TRAVAIL» (... UN LIVRE IDÉAL EN PÉRIODE DE CRISE)
«Bien que votre candidature nous semble intéressante, d'autres profils plus adaptés à ce poste vous ont été préférés»
«Nous avons bien reçu votre candidature et nous vous en remercions. Cependant...»
«Nous nous permettons toutefois de conserver vos coordonnées afin de vous contacter de nouveau le cas échéant.»
Déjà reçu cette lettre-type de refus, rédigée par un DRH-type d'une ZAC-type de la banlieue-type de Paris, Lyon, Marseille? Déjà reçu ces courriers-type à en-tête à l'ironie tragique («Ensemble, construisons l'avenir»), écrits par des personnes qui, hélas, ne peuvent rien pour vous et qui, pour votre plus grand malheur, ne vous donneront pas ce magnifique de CDD-de-cariste-de-3-mois-non-renouvelable-à-Cergy-(95)-aux-3/8-payé-aux-4/5-du-SMIC?
Marre d'écrire des inepties («je suis souriant, disponible, motivé») sur vos lettres de motiv' tapées laborieusement à la chaîne en TimesNewRoman corps 12 pour ne fâcher personne? De malmener la langue française en abusant d'affreux participes présents en tête de phrase? («Ayant moi-même un bon contact avec les animaux, je suis toute disposée»...); de mentir sur vos hobbies, vos voyages, vos compétences («anglais courant; bonne connaissance d'Excel; je pratique le tango en amateur»)?
Julien Prévieux, lui, après huit ans de ce régime, a décidé d'inverser la vapeur et de rédiger, en réponse à des offres d'emploi, des lettres de non-motivation.
Le résultat est incroyablement drôle (et subversif).
Exemple: A une annonce recherchant un coupeur de verre (H/F), il répond:
«Monsieur,
Je vous réponds suite à votre annonce parue dans la Parisien emploi. J'ai déjà vu des métiers dont la désuétude frôlait l'indécence, mais là vous dépassez les bornes: vous cherchez un... coupeur de verre! On a changé d'époque, monsieur, vous devez absolument vous moderniser, et proposer des métiers qui correspondent à votre temps. Le XXIème siècle est largement entamé, apprenez que les taillandiers, les poinçonneurs, les troubadours, les schlitteurs, les drapiers, les cochers, les bourreliers, les crieurs publics et autres montreurs d'ours ont disparu. Aujourd'hui nous sommes en plein boom des télécoms et de l'informatique, sans être novateur proposez au moins des jobs d'ingénieurs réseaux. Nous avons besoin de nouveaux managers, d'experts en veille stratégique, de consultants, de DRH, de truqueurs d'images, d'ingénieurs bio-tech. Notre société est post-industrielle, le sciage peut attendre, pas les produits financiers, ni les loisirs ou les semi-conducteurs. Vous êtes un frein à l'innovation, aussi je me vois dans l'obligation de refuser le métier rétrograde que propose votre entreprise.
Dans l'attente d'une réponse de votre part, je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
Julien Prévieux».
Tout est du même tonneau, si j'ose dire. A une annonce d'un job chez Bénédicta, il se décrit comme un obèse accro à la junk-food qui se nourrit exclusivement de «sauce béarnaise, bourguigonne, madère, sauce américaine, aïoli», mais qui, à cause de surpoids, est incapable de s'éloigner du Franprix de la rue des Amandiers et donc se voit «dans l'obligation de refuser ce poste»...
A la Banque populaire, dont l'annonce est ornée d'une image représentant un grand voilier en pleine mer, avec, au dessus : «VOUS NE VOUS VOYEZ PAS FAIRE CARRIÈRE DANS LA BANQUE? VOUS AVEZ PEUT-ÊTRE UN AVENIR À LA BICS-BANQUE POPULAIRE», il avoue d'abord en réponse «ne pas bien comprendre la présence d'un voilier en pleine mer illustrant une poste de commercial». Et il conclut : «A la question : vous ne vous voyez pas faire carrière dans la banque, je réponds : Non, je ne me vois pas faire carrière dans la banque.»
Voilà qui fait du bien, n'est-ce pas?
Je vous conseille ardemment de lire ce livre grinçant, sans conteste le plus drôle de 2008. D'abord parce qu'il offre une vision subversive de la crise, du chômage qui ne cesse d'augmenter, des angoisses que génère cette société post-industrielle pleine de métiers fantômes, mal qualifiés et mal payés. Et surtout, parce que Julien Prévieux, -qui est avant tout un artiste-, fait ressortir la violence latente, la comédie sociale qui se joue lorsqu'un postulant postule, et qu'un recruteur répond; c'est un vrai jeu social, sauf que l'un des participants, bien entendu, est plus fort que l'autre. C'est édifiant.
Julien Prévieux, lettres de non-motivation. Editions Zones-La Découverte. 9,90 euros. Il expose actuellement à La Vitrine (lieu d'exposition de l'Ecole Nationale d'Arts de Paris-Cergy) du 6 décembre 2007 au 6 janvier 2008. www.previeux.net.
BO : The Kinks, Sunny Afternoon
CETTE CHANSON DES KINKS, SUNNY AFTERNOON, ILLUSTRE ASSEZ BIEN L'ÉTAT D'ESPRIT TRANQUILLEMENT SUBVERSIF DE CES LETTRES DE NON-MOTIVATION. EN VOICI DONC LES PAROLES.
The tax mans taken all my dough, (dough = argent)
And left me in my stately home,
Lazing on a sunny afternoon.
And I cant sail my yacht,
Hes taken everything Ive got,
All Ive gots this sunny afternoon.
Save me, save me, save me from this squeeze.
I got a big fat mama trying to break me.
And I love to live so pleasantly,
Live this life of luxury,
Lazing on a sunny afternoon.
In the summertime
In the summertime
In the summertime
My girlfriends run off with my car,
And gone back to her ma and pa,
Telling tales of drunkenness and cruelty.
Now Im sitting here,
Sipping at my ice cold beer,
Lazing on a sunny afternoon.
Help me, help me, help me sail away,
Well give me two good reasons why I oughta stay.
cause I love to live so pleasantly,
Live this life of luxury,
Lazing on a sunny afternoon.
In the summertime
In the summertime
In the summertime
Ah, save me, save me, save me from this squeeze.
I got a big fat mama trying to break me.
And I love to live so pleasantly,
Live this life of luxury,
Lazing on a sunny afternoon.
In the summertime
In the summertime
In the summertime
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