mardi 24 juin 2008

Le livre de l'été? C'est ça et rien d'autre





Mieux qu'un polar victorien, mieux qu'une histoire littéraire du roman policier, je viens ici vous parler d'un roman-documentaire absolument merveilleux, que dis-je ! Epoustouflant.

Cela s'appelle L'Affaire de Road Hill House, et c'est écrit par une Anglaise d'une quarantaine d'années qui était critique littéraire au Daily Telegraph : Kate Summerscale, retenez ce nom.

Imaginez d'abord une élégante demeure géorgienne du Wiltshire avec cuisines et dépendances, et son armada de domestiques et de livreurs.


A l'aube blanche du 30 juin 1860, on découvre, dans la puanteur des latrines de Road Hill House, le corps mutilé, égorgé, étouffé sous les excréments, d'un enfant de trois ans. C'est celui de Saville Kent, le plus jeune fils de la maisonnée. Ce crime terrifiant, apprend-on, n'est pas l'oeuvre d'un rôdeur, mais d'un proche, parent ou domestique. Qui est coupable? Constance, la grande soeur taciturne ? La mère ? La bonne ? Alors que l'enquête des policiers locaux piétine, pom pom pom, voilà qu'arrive un détective de Scotland Yard, Jack Whicher, dépêché à Road Hill House pour tirer l'affaire au clair...






(ceci est un grossier plan de Road Hill House, comme vous pouvez l'imaginer).




Reprenons. Si l'on veut résumer la chose, Jack Whicher = Sherlock Holmes. C'est aussi simple que ça: Conan Doyle s'est largement inspiré de Whicher pour composer Sherlock Holmes, fin limier analytique, calme et rigoureux; Wilkie Collins s'en est inspiré aussi, notamment pour écrire La pierre de lune.

Donc, on a affaire à un meurtre sordide, décrit avec un luxe inouï de détails, qu'un personnage archétypal de super-détective tentera de résoudre. Et Kate Summerscale multiplie les sources, enchevêtre citations d'Edgar Poe ou de Dickens et archives de journaux de l'époque, détails météorologiques et digressions étymologiques : elle compose, véritablement, un récit singulier et fascinant.

Parce qu'elle est symptomatique d'une Angleterre victorienne empêtrée dans ses obsessions bourgeoises, Road Hill House est une affaire criminelle exemplaire. Summerscale la dissèque admirablement, et on retrouve, dans ce huis-clos terrifiant, tous les éléments du fait-divers "réussi": le sang, le stupre, la syphilis, l'hystérie féminine, le sperme, la jalousie, les miasmes, les excréments... Le tout, bien sûr, donné en pâture à tout le pays par voie de presse. On sent d'ailleurs la délectation malsaine du «grand public» à lire toutes ces horreurs, comme s'il fallait jouer à se faire peur en commentant encore et encore le récit atroce de la mort d'un enfant... Cela vous rappelle quelque chose ? Forcément.

Road Hill House, c'est un premier roman polyphonique, qui convoque à la fois Darwin, Freud, Edgar Poe, Conan Doyle et même Marx.... Et il nous restitue, par cette subjectivité-là, une certaine vérité de cette affaire, bien mieux que n'importe quel récit journalistique, dont il s'éloigne absolument.

Et puis, moi, je vais vous dire : la dernière fois que j'ai lu quelque chose qui restituait avec tant de justesse cette époque, c'était Sarah et le lieutenant français, de John Fowles.






L'Affaire de Road Hill House, de Kate Summerscale. Traduit de l'anglais par Eric Chédaille. Christian Bourgois. 527 pages. 25 euros.


Musique : peut-être aurez-vous reconnu la fameuse Sarabande d'Haendel, B.O du sublime Barry Lyndon de Stanley Kubrick.